Croyances et éthiques

Le capitalisme usurier : cet autoritarisme qui ne dit pas son nom

L’actualité regorge de contradictions mêlant désir de liberté et pulsions autoritaires. Comment comprendre ce phénomène mondial, qui consiste à échanger toujours plus de liberté contre toujours plus de sécurité ?
Ahmed Danyal Arif

Un rapport de force injuste en faveur du capital

Sans vouloir faire la part trop belle à l’analyse marxiste qui interprète l’histoire comme celle d’un perpétuel conflit entre classes économiques présumées antagonistes, le monde d’aujourd’hui ne pourrait être compris sans reconnaître l’importance de la préservation des intérêts privés du capitalisme mondial.

Disons les choses clairement : nous assistons depuis plusieurs années à l’émergence d’un esclavagisme moderne où les forces vives d’une société (entrepreneurs, artisans, travailleurs, etc. – facteur travail) ou d’un ensemble de sociétés sont placées sous contrôle et mises au service de forces parasites (rente passive – facteur capital) qui forment une partie minoritaire de la population la constituant. Ce phénomène a déjà pu être observé lors de la colonisation, mais sa particularité aujourd’hui est de ne pas être circonscrit à quelques nations ou continents mais élargi à l’ensemble de l’humanité.

À l’origine de tout cela il y a le système financier usuraire (ou la logique de la dette avec intérêts) qui créé des tensions entre les intérêts des différents acteurs économiques. Ces tensions incompressibles se traduisent par un rapport de force instable entre les acteurs économiques en ce qui concerne notamment la rémunération des facteurs de production (Capital vs. Travail).

Aujourd’hui, ce rapport de force est en faveur du capital (la classe des 0,1 % les plus riches). Mais cette injustice créée naturellement une instabilité car lorsque l’effort est toujours requis du même côté, il produit à son tour de la frustration, de l’amertume, voire un désir de vengeance et de la haine. C’est à ce titre que le système capitaliste tente de trouver les expédients efficaces pour préserver ce rapport de force.

L’idéologie du néo-libéralisme des années 1980 et de la fin de l’histoire de Francis Fukuyama a été une réponse à ces tensions et son implémentation permise par une déréglementation de la scène économique nationale et internationale ainsi qu’une réduction du rôle de l’État en tant qu’acteur économique et protecteur de l’intérêt général.

Le secteur financier est à la fois le déclencheur et le pionnier dans cette « libéralisation » car le système survit grâce au déséquilibre du rapport de force entre facteurs de production, en faveur du capital. Le prix à payer pour le maintenir est lourd : sous-développement de régions entières, paupérisation, immigration clandestine, acculturation, déracinement et finalement montée de l’insécurité.

Ayant cédé à l’appel des lobbys privés pour déléguer son pouvoir économique, le pouvoir politique va alors œuvrer au retrait de l’État de la sphère économique au niveau institutionnel et réglementaire. Cette crise identitaire de l’État, caractérisée par un délaissement de son devoir de protection économique et réglementaire de la population, se traduit par un repli sur sa compétence de « protection physique » des citoyens et sur le monopole de l’usage de la force (police et forces armées). Les effets secondaires ne se font pas attendre et l’État se mue en État-police au service d’un système financier qui le finance, afin de réprimer toute opposition au « désordre » établi.

Le « coup d’État sécuritaire » consiste à entretenir la peur et l’insécurité pour légitimer l’action d’une classe politique et d’un État discrédités par l’abandon de ses devoirs et prérogatives au profit de lobbys privés. Le deal proposé est simple : moins de liberté pour plus de sécurité. Une définition plus élargie de la liberté économique est proposée, en échange duquel les libertés fondamentales et individuelles sont diminuées.

L’écran de fumée du « tout sécuritaire » et de la « guerre contre le terrorisme »

La « guerre contre le terrorisme » s’inscrit dans ce cycle malsain, comme une diversion et une tentative pour sauvegarder un rapport de force injuste découlant d’un système financier usuraire en faillite. En effet, si l’on a tendance à assimiler la guerre contre le terrorisme à une guerre contre l’Islam, cela ne peut être vrai que dans la mesure où le système économique islamique pose un défi de taille a un système capitaliste usurier en déliquescence.

La dernière crise économique généralisée de 2008 a été de ce point de vue un tournant. La logique de la dette a toujours eu un effet de désintégration sociale. Il suffit de se documenter sur l’histoire de Babylone, de l’Égypte ancienne et de la Grèce Antique ou de la ville de Florence au Moyen-Âge pour se rendre compte que l’ascension et la chute des civilisations ne sont, en définitive, que des épisodes dans l’histoire de l’usure.

Dans ce contexte et à mesure que la révolte sociale se radicalise, la cause sous-jacente et profonde de la plupart des ressentiments dans le monde sont avant tout liés à des frustrations économique et financière.[1]

L’oligarchie et ses représentants ont donc au fond le même objectif à attendre, certes par des voies différentes. Il s’agit de dévier vers une autre cible la vindicte populaire qui désignerait les vrais coupables du désastre économique et social : l’oligarchie ou les 0,1 %. Elle a donc tout intérêt à créer une diversion afin d’effrayer les populations et par ce biais garder la main haute en imposant les changements désirés au pacte social. Ces changements incluent d’abord et avant tout l’affaiblissement des forces vives et dynamiques au profit d’une oligarchie financière et la privatisation de l’activité étatique (jusqu’aux forces armées).

L’équation étant ainsi posée, le capitalisme néolibéral aboutit inéluctablement à sa contradiction sociale : la crispation intellectuelle et l’autoritarisme politique sans qu’ils ne résultent d’une anormalité ou d’une soi-disant rupture avec la société.

Il serait dommage que les polémiques actuelles et l’hostilité qui en résulte couvrent le seul véritable enjeu qui soit durable et dont il est véritablement question : la justice et la paix économique.


 [1] Hazrat Mirza Masroor Ahmadaba, “The Critical Need for Peace”, Peace Symposium, 9 mars 2019: https://www.khalifatulmasih.org/press-releases/peace-symposium-uk-2019/

 

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