Croyances et éthiques

Le Dajjal et la tromperie du système bancaire moderne

Le système financier moderne serait-il le véritable Antéchrist ?
Par Ahmed Danyal Arif

Chez la majorité des musulmans, le concept du Dajjal (Antéchrist) reste un phénomène obscur et aux proportions mythiques si les interprétations de la prophétie s’y rapportant sont appréhendées au sens littéral. En effet, dans certaines prophéties, le Dajjal est décrit comme un homme immense sur un âne[1], dont l’œil droit est aveugle[2] et possédant un œil gauche protubérant[3].

Cependant, comme toutes les prophéties, celle sur le Dajjal est sujette à interprétation, et Hazrat Mirza Ghulam Ahmadas, le Messie Promis et Mahdi, a brillamment élucidé le concept à la lumière du Saint Coran et des traditions du Saint Prophète Muhammadsa. Il a notamment expliqué que le mot « Dajjal » est dérivé du la racine arabe « D-J-L » qui renvoie à une « tromperie » et a précisé que le concept de Dajjal est intangible, décrivant plutôt “un groupe soutenant le mensonge et œuvrant avec ruse et tromperie.[4]

En creusant un peu plus, un autre sens de cette racine du terme Dajjal est « dajl » qui fait référence à l’or et plus précisément à « la dorure »[5], à l’action de dorer ou de recouvrir la surface d’une chose ou d’un objet avec une substance qui s’apparente à de l’or.

Confirmant cela, le Messie Promisas a également déclaré : “En arabe, dajlun fait référence à une chose qui est artificielle de l’intérieur mais d’apparence pure de l’extérieur. Le cuivre doré à l’or en est un exemple. Cette forme de tromperie existe dans le monde depuis la nuit des temps. Aucune époque n’a été exempte de telles fraudes et tromperies. Qu’observons-nous des orfèvres ?[6]

En effet, qu’observons-nous des orfèvres sinon qu’ils sont les véritables instigateurs et l’incarnation du système bancaire moderne tel qu’il existe aujourd’hui ?

Pour le comprendre, il faut remonter quelque trois siècles et demi à Londres. A cette époque, la monnaie est frappée en métal précieux (principalement l’or et l’argent). Cependant, l’or a rapidement montré ses limites en raison de son poids et du fait qu’il était risqué de le transporter publiquement. Les orfèvres proposeront alors de garder l’or en sécurité dans leurs coffres. En retour, les déposants recevaient un reçu où l’orfèvre s’engageait à restituer le montant inscrit en or sur demande. Or, tout le monde va se rendre compte que ces morceaux de papier étaient bien pratiques et ils finiront par être utilisés à la place de l’or pour les achats quotidiens.

Mais les orfèvres firent une découverte qui allait affecter l’humanité pour les siècles à venir. Ils apprirent, par expérience, que presque tout l’or qui leur était confié demeurait intact dans leurs coffres. Étant donné que les propriétaires de cet or ont commencé à utiliser les reçus dans leurs échanges commerciaux, c’est à peine si un sur dix venait quérir du métal précieux.

C’est à cette moment critique de l’histoire que les orfèvres vont changer de modèle économique. En effet, ils se rendront compte que la chose la plus évidente à faire avec ces énormes réserves d’or inutilisée est de les prêter à des personnes de bonne réputation qui souhaitaient emprunter. En facturant des intérêts sur ces prêts (les règles sur l’usure avaient été considérablement libéralisées en Angleterre avec un taux d’intérêt plafonné à 5%), les orfèvres ont pu tirer un excellent rendement de ce service sans avoir à faire le moindre effort. Dans le même temps, ils garderont des quantités suffisantes en réserve pour faire face aux demandes importantes et/ou imprévisibles des déposants pour récupérer leur or.

Au fur et à mesure que le processus du prêt sera envisagé, il deviendra évident pour les orfèvres qu’il n’était en fait pas nécessaire de prêter l’or physique dans leurs coffres puisque leurs propres reçus étaient également considérés comme de la monnaie par le grand public. En conséquence, ils commenceront à produire plus de reçus qu’il n’y avait d’or dans leurs voûtes et ceux-ci seront prêtés comme substitut de l’or (cf., ‘dajlun’ – dorure).

En prêtant des sommes supérieures à leurs réserves d’or tout en prélevant des intérêts sur les reçus, les orfèvres se transforment de facto en banquiers au sens moderne du terme : ils acquièrent le pouvoir de changer l’or en papier en créant de l’argent d’un trait de plume et à partir de rien.

Au fil des années, le secteur bancaire est devenu de plus en plus sophistiqué sur le plan technologique et la confiance dans les banquiers est devenue absolue. Pourtant, le progrès technologique n’est qu’un autre visage du système bancaire originel des orfèvres et du processus de création monétaire qui, pour l’essentiel, reste le même aujourd’hui.

La seule différence est que l’or a été remplacé par ce qu’on appelle la « monnaie centrale ». Cette monnaie est créée que par les banques centrales. Les reçus ont été remplacés par la « monnaie scripturale » et celle-ci est créée uniquement par les banques commerciales (Société Générale, BNP Paribas, etc.). La monnaie centrale est hiérarchiquement supérieure à la monnaie scripturale et le chiffre s’affichant sur nos comptes bancaires correspond à une simple reconnaissance de dette de la banque commerciale envers le titulaire du compte.

En fait, dans nos économies modernes, la plupart de la monnaie prend la forme de dépôts bancaires. Cependant, la façon dont les dépôts de ces banques commerciales sont créés est souvent mal comprise : le principal moyen consiste aux banques commerciales à accorder des prêts. En d’autres termes, chaque fois qu’une banque accorde un prêt, elle crée simultanément un dépôt correspondant sur le compte bancaire de l’emprunteur, créant ainsi de l’argent frais. Ce tour de passe-passe se matérialise par une simple écriture comptable où la banque crédite le compte du client qui se retrouve en possession d’une quantité de monnaie supplémentaire.

L’idée courante (et fausse) consiste à dire que les banques commerciales agissent simplement en tant qu’intermédiaires, prêtant les dépôts que les épargnants placent auprès d’elles. Au contraire, ce sont les crédits qui font les dépôts. La réglementation limite théoriquement la quantité de monnaie que les banques commerciales peuvent créer ; cependant, l’argent prêté aux clients est créé à partir de rien et nécessite seulement de tapoter sur un clavier d’ordinateur.

Aujourd’hui, la monnaie centrale (sous la forme de pièces et de billets) ne représente qu’une très faible fraction de la monnaie en circulation. La masse monétaire est à 97% de monnaie scripturale[7] — une simple inscription sur un compte bancaire, qui circule par divers moyens de paiement (cartes bancaires, virements, prélèvements automatiques ou chèques). Et encore une fois, les premiers créateurs de monnaie scripturale sont les banques commerciales. Cela signifie que tout l’argent en circulation a initialement vu le jour en tant que dette portant des intérêts en faveur du système bancaire. Autrement dit, la monnaie est le pouvoir d’un seul (la banque) sur tous et la dette de tous envers un seul, et il est impossible, pour le moment, d’échapper à la calamité de l’usure comme l’avait annoncé notre Bien-Aimé Prophète Muhammadsa.[8]

Sachant que la logique du système bancaire moderne est née d’une trahison de la confiance des déposants en or par les orfèvres, cette tromperie ne correspond-elle pas à une manifestation du Dajjal ? L’islam ne propose-t-il pas la meilleure alternative à cette calamité en prohibant l’usure (la raison d’être des banques) sous toutes ses formes et en chassant, une bonne fois pour toutes, les impitoyables Shylocks du temple ?


[1] Mousnad Ahmad, vol. 3 et Moustadrak Al-Hakim, vol. 4

[2] Sahih Al-Boukhari, Livre 97, hadith 36

[3] Sounan Abi Dawoud, Livre 11, hadith 185

[4] Hazrat Mirza Ghulam Ahmadas, Haqiqatul-Wahi (The Philosophy of Divine Revelation), Islam International Publications, 2018, p. 393

[5] Edward William Lane, An Arabic-English Lexicon – دجل: http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Perseus%3Atext%3A2002.02.0022%3Aroot%3Ddjl

[6] Hazrat Mirza Ghulam Ahmadas, Malfuzat, Volume II, Islam International Publications, 2019, p. 161

[7] Bank of England, “Money creation in the modern economy”, Quarterly Bulletin, 2014: https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/quarterly-bulletin/2014/money-creation-in-the-modern-economy.pdf?la=en&hash=9A8788FD44A62D8BB927123544205CE476E01654

[8] Sounan Abi Dawoud, Kitab Al-Bouyou’, Hadith 3331

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