Les fondements de l'Islam

Sharia (charia) : relation entre la religion et la politique dans l’islam

Mise en place de la Shariah (charia)

Aujourd’hui, la shariah est une question qui soulève de nombreuses polémiques dans les pays musulmans.

On entend généralement dire, que si la majorité d’un pays est constituée de musulmans, ceux-ci ont le droit, ou plutôt, l’obligation d’y imposer la shariah. L’argument principal utilisé par les partisans de son imposition, c’est que, s’ils croient au Saint Coran et reconnaissent qu’il s’agit d’un livre complet qui traite de chacun des domaines de l’activité humaine et qui réglemente tous les aspects de la vie quotidienne, ce serait de l’hypocrisie que de se limiter à une déclaration verbale. La conclusion logique est donc d’imposer la shariah et d’en faire la seule loi acceptable dans le pays.

D’un autre côté, ses adversaires mettent en évidence de nombreuses difficultés, pas seulement dans les domaines législatifs et constitutionnels mais aussi dans tous les autres aspects de sa mise en oeuvre.

Il faut tout d’abord expliquer pourquoi la shariah ne peut pas être appliquée ou imposée à un peuple qui, dans sa vie quotidienne, ne représente pas l’idéal islamique, bien au contraire. Si lorsque des hommes ont la liberté de pratiquer l’Islam, ils ne le font pas, on peut se demander comment la force et la contrainte de la loi pourra le leur imposer.

La shariah, c’est la loi de l’Islam, la loi des musulmans, tout le monde s’accorde à reconnaître cela. Mais la véritable question c’est de savoir dans quelle mesure cette loi peut être transformée en un système législatif qui soit adapté au fonctionnement d’un gouvernement politique. Là dessus, beaucoup d’autres problèmes viennent se greffer. Par exemple, si un pays musulman a le droit d’imposer sa loi à toute sa population, en suivant le même raisonnement, un autre pays dont la population appartient en majorité à une autre religion le un droit similaire d’y imposer la sienne.

Si un tel raisonnement était mis en pratique, le monde entier deviendrait le foyer de conflits non seulement politiques mais aussi politico-religieux, toutes les lois seraient, bien entendu, attribuées à Dieu, tout en étant parfaitement contradictoires. Le résultat serait une grande confusion dans laquelle les gens finiraient par perdre leur foi en un Dieu qui dit « blanc » à celui-ci et « noir » à celui-là, et qui les force à se l’imposer les uns les autres comme preuve de leur foi.

Il est facile d’imaginer ce qui pourrait se passer en Inde, si la loi des hindous majoritaires était imposée à la minorité musulmane. C’est d’ailleurs malheureusement une idée extrémiste qui trouve un écho de plus en plus favorable parmi la population indienne, peut être par réaction à ce qui se passe dans certains pays islamiques. Dans une telle éventualité, que deviendraient les musulmans de l’Inde? Et ce n’est pas un problème spécifiquement indien. Si Israël imposait la loi du judaïsme – La Talmud – la vie deviendrait impossible pour un non-juif.

De la même, le Christianisme et le Bouddhisme ont aussi leurs droits.

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Participation au pouvoir législatif

L’une des considérations principales qui concerne le concept même de l’état est le droit qu’a tout homme né dans un état de participer à sa législation. C’est une question fondamentale à laquelle doivent répondre ceux qui s’intéressent à la politique et au droit international.

Dans un concept de gouvernement séculaire, tous ceux qui sont nés dans un pays, quelque soit leur race, couleur ou religion en acquièrent les droits fondamentaux. Parmi eux, le plus important est celui qui consiste à la participation au pouvoir législatif.

Bien sur, les partis vont et viennent, les majorités d’aujourd’hui sont les minorités de demain. Les souhaits et désirs de tout le monde ne peuvent pas être satisfaits. Mais, en principe, pour toutes les questions qui concernent l’intérêt commun, chacun à une chance égale d’exprimer son opinion, même si c’est dans l’opposition. Que se passerait-il si une religion ou une shariah est imposée comme loi quelque part? Si la loi de l’Islam était imposée dans un pays, tous les non- musulmans en deviendraient des citoyens de deuxième voire troisième ou quatrième catégorie, n’ayant aucun droit pour ce qui concerne la conduite des affaires du pays. Mais le problème ne s’arrête pas là, et se complique à l’intérieur de l’Islam lui-même: Parce que le livre de l’Islam a été révélé par Dieu, et que les savants musulmans revendiquent le droit de l’interpréter.

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Le pouvoir législatif subordonné aux leaders religieux

En cas de litige, le corps législatif se retrouve soumis à l’opinion de ces savants, ou prétendus savants, spécialistes de l’interprétation du Saint Coran. Quelle va être la relation entre une assemblée élue pour légiférer et qui fait son travail et quelques leaders religieux qui vont s’écrier: « Ce que vous proposez s’oppose aux principes fondamentaux de l’Islam ».

Quelle voix devrait être écoutée? D’un coté c’est apparemment la voix de Dieu que l’on entend derrière ces personnes, mais seulement en apparence. De l’autre coté, c’est la voix de la majorité du pays. C’est un dilemme qui se trouve pratiquement sans solution.

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Avec le temps, des divisions apparaissent dans toutes les religions

Mais ce n’est pas tout. Chaque religion à sa source est une et indivisible, mais avec le temps, la discorde s’instaure et les divisions et séparations se multiplient. Une foi qui à l’époque de Jésus Christ (paix soit sur lui) était représentée par un Christianisme unique, s’est transformée en plusieurs centaines de variantes. Du point de vue de chacune d’entre elles, cette source unique prend une couleur différente, suivant qu’elle est interprétée de leur point de vue ou d’un autre. Et la même chose est vraie pour l’Islam, et n’est pas limité uniquement une question d’Islam Sunnite ou Chi’ite et de leur interprétation de la shariah.

A l’intérieur de l’Islam Chiite, il y a 34 obédiences ayant chacune une interprétation différente. Et c’est la même chose dans l’Islam Sunnite. Il y a des questions sur lesquelles il n’y a pas deux Oulémas d’obédiences différentes qui sont d’accord. Et pas sur des points superficiels mais sur des questions absolument fondamentales. Pour s’en convaincre il suffit de lire le rapport de Justice Munir, le président de la cour suprême de justice, qui fut l’un des deux juges choisis pour déterminer les raisons et responsabilités dans les émeutes dirigées contre les Musulmans Ahmadis en 1953. Qui en furent les responsables et qui en furent les victimes?

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Définition d’un musulman

Pendant le déroulement de l’enquête, le juge Munir demanda de manière systématique à chacun des leaders musulmans se présentant devant lui s’ils pouvaient donner une définition de l’Islam qui puisse être acceptée aussi par toutes les autres obédiences. Qui s’appliquerait à tous sans aucune distinction et grâce à laquelle on pourrait dire si un tel est musulman ou pas. Dans son rapport, le juge Munir a mis en évidence qu’aucun des musulmans interrogés ne sont tombés d’accord sur une définition unique de ce qu’est l’Islam.

L’un de ceux qui furent interrogés demanda un délai pour y réfléchir. Le juge Kayani, l’un des juges présent, qui avait un sens de l’humour particulier, lui répondit qu’il avait déjà eu plus de 1300 ans pour y penser, et si cela n’était pas suffisant pour définir les bases fondamentales de l’Islam, il n’était pas dans le pouvoir de cette cour de lui accorder plus de temps.

C’est en fait une question très sérieuse. Si l’interprétation de la shariah par une obédience est imposée, ce ne sont pas seulement les non musulmans qui perdraient certains de leurs droits fondamentaux, mais au sein même de l’Islam beaucoup de communautés en seraient aussi dépourvus.

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Quelle interprétation de la shariah (charia) doit-on imposer ?

Cela donne naissance à beaucoup d’autres problèmes. Par exemple, le concept de la punition pour un crime dans la shariah peut être très différent d’une obédience à l’autre. La pratique de l’Islam à travers le monde sur une même question pouvant être parfois contradictoire, cela ne manquerait pas de créer une impression désastreuse sur le reste du monde non- musulman. Quelle est cette religion qui conseille, ici ou là, des punitions différentes pour un même crime. Dans d’autres endroits il ne s’agirait même pas d’un crime mais d’une chose recommandée.

C’est l’une parmi les nombreuses raisons qui rendent l’imposition de la shariah pratiquement impossible.

Par ailleurs, on touche aux droits fondamentaux des autres écoles de pensées, et dans de nombreuses situations on les piétine même. Prenons par exemple la consommation de l’alcool. C’est interdit par l’Islam, cela, il n’y a aucun doute. Mais quant à savoir si c’est un délit passible de sanction, et dans l’affirmative si c’est à l’homme de l’exécuter, dans ce monde, cela reste pour le moins contestable. C’est une question controversée qui est loin de faire l’unanimité. Quelle est la punition pour la consommation d’alcool? Le Saint Coran n’en mentionne AUCUNE. Il y a pourtant certaines personnes qui déduisent de certaines traditions que la punition est la peine de mort. Mais cette conclusion est pour le moins discutable, et l’authenticité même de ces traditions est mise en question.

Ainsi, doit-on punir une grande partie, non seulement de la société musulmane mais aussi non-musulmane, en invoquant des arguments douteux par nature. Que cela plaise ou pas, c’est toute la question. Pourtant, il y a des extrémistes partout, et particulièrement parmi ceux qui rêvent d’imposer la shariah.

On trouve beaucoup d’extrémistes caractérisés par leur intolérance vis à vis de l’opinion des autres. En conséquence, beaucoup de ces questions qui laissent une marge assez large quant à leur interprétation ne leur donnent aucun doute. Ils diront: « Oui nous connaissons bien ce problème, c’est notre opinion. C’est l’opinion de tel ou tel grand érudit de l’Islam médiéval, c’est que nous croyons. Et c’est la loi. »

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Mise en place de la shariah (charia) au Pakistan

Cette différence a donné lieu à un débat récent au Pakistan, et Mr. Nawaz Sharif, le premier ministre (de l’époque), a finalement décidé que la shariah d’aucune obédience ne serait adoptée.

La loi qui fut votée au Pakistan reconnait la suprématie du Coran, et accepte qu’aucune loi contraire à ses enseignements fondamentaux ne sera adoptée. Au delà, le gouvernement s’appliquera à ne voter aucune réglementation provenant de ces lois comme si elles étaient des instructions et décrets divins.

Ainsi, cela mis à part, il ne restait de la shariah que le principe général énoncé dans le Saint Coran, à la lumière duquel une tentative d’islamisation du système législatif du pays fut entreprise.

Jusqu’à présent, tout s’est relativement bien passé. Je pense que le premier ministre a pu se sortir d’une situation délicate, mais pas pour longtemps. Les Oulémas sont déjà prêts à lui sauter à la gorge. Ils insistent pour que les pouvoirs de la cour de shariah, qui existent déjà, ne soient pas seulement maintenus mais augmentés. L’autorité finale devant décider de la conformité des lois avec l’Islam devant être du ressort de cette court suprême.

Le résultat sera un transfert des pouvoirs des membres élus par le peuple vers les mollahs extrémistes.

Ainsi, après avoir accepté ce qui, d’un point de vue pratique est inapplicable, le doigt est mis dans l’engrenage de problèmes qui ne peuvent se résoudre sans complications supplémentaires.

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Aujourd’hui, le mode de vie des musulmans n’est pas véritablement islamique

C’est un domaine qui présente de grandes difficultés. Mais il y en a un autre, tout aussi important: C’est que dans la plupart des pays, le mode de vie des musulmans n’est pas réellement islamique.

Vous n’avez pas besoin que la shariah soit imposée pour faire vos cinq prières quotidiennes, pour être honnête et témoigner devant une cour de justice en disant la vérité. Dans notre société, le vol, l’insécurité et le désordre sont devenus une réalité quotidienne. Les droits de l’homme sont constamment piétinés. L’honnêteté est une chose très rare et les insultes envers autrui sont devenues un moyen banal d’expression. Dans une société ou toute forme de décence a disparu du comportement social, quel pourra être l’effet de la shariah? Comment véritablement mettre en oeuvre la shariah dans une telle société, c’est toute la question.

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Les conditions propices à une imposition de la shariah (charia)

Chaque pays à un environnement et un climat bien particulier et toute végétation n’y est pas forcément adaptée. Les dattes poussent dans le désert mais il n’est pas question d’y faire pousser des cerises. Cela est vrai aussi pour la shariah, et un climat très particulier est nécessaire pour son application. Si les conditions favorables ne sont pas tout d’abord réunies la shariah ne peut être instituée.

Avant de pouvoir imposer la loi de Dieu, chaque prophète, pas seulement le prophète Mohammad (s.a.w.), a tout d’abord créé un climat favorable, sans utiliser la contrainte. Lorsque les sociétés étaient prêtes à accueillir ces lois, elles y étaient introduites progressivement, jusqu’à ce que l’ensemble du code soit fermement établi. La société ayant acquis progressivement la capacité de suivre la loi religieuse, shariah ou autre.

Dans une société où le vol et le mensonge sont des pratiques courantes, si vous imposez la shariah et tranchez les mains des voleurs, que va-t-il se passer? Est-ce cela le but de la shariah? Il ne s’agit pas de faire du sentimentalisme à propos de religion. La volonté de Dieu sera faite, mais de manière ordonnée, comme Dieu lui même, le souhaite.

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La shariah (charia), prétexte pour prendre le pouvoir

Pourquoi ne pas suggérer à certains responsables politiques de proposer aux musulmans de commencer par réformer une seule ville du Pakistan, et après cela d’y imposer la shariah. On pourrait par exemple commencer par Faisalabad, une ville moyenne, connue pour sa corruption et dont l’activité principale est le commerce.

Que des quatre coins du Pakistan les Oulémas soient invités à réformer tout d’abord cette seule ville. Lorsque ses habitants auront acquis la capacité de supporter la shariah, alors le gouvernement pourra être invité à prendre le contrôle de l’administration de cette loi. Mais ce n’est pas près d’arriver. D’ailleurs, cela ne les intéresse pas. Ce n’est pas l’amour de l’Islam qui les pousse à réclamer la shariah. Ce n’est que l’instrument qui doit leur permettre de prendre le pouvoir et de diriger la société au nom de Dieu. La société dirigée, au nom des hommes, par des gens corrompus et cruels, dans une certaine mesure cela peut être toléré. Mais que ces atrocités soient commises au nom de Dieu, c’est la pire chose dont un homme puisse se rendre coupable.

Il est donc clair que beaucoup de réflexion est nécessaire, avant de songer pouvoir mettre en oeuvre dans un pays quelconque une loi religieuse. On peut même douter que dans l’état actuel des choses cela soit possible.


Cet article est basé sur un discours par Hadrat Mirza Tahir Ahmad (quatrième calife de la communauté islamique Ahmadiyya) à l’occasion d’un séminaire inter-religieux tenu au Surinam, le 3 juin 1991.

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