Croyances et éthiques

Pourquoi nous, musulmans de France et d’ailleurs, jeûnons

Nous reproduisons ici cet article écrit par Asif Arif et publié dans les blogs du Huffington Post.

Un ami m’a dit quelque chose de très vrai ce weekend concernant le mois du Ramadan. Ce mois béni est peu connu de beaucoup d’entre nous, musulmans, qui le pratiquons pourtant chaque année. Souvent, quand on pose la question: « Pourquoi observe-t-on le jeûne ? », on reçoit souvent une réponse très arrondie consistant à dire « Pour penser aux pauvres… », alors que les pauvres eux-mêmes font également le Ramadan.

Le mois du Ramadan semble également être l’occasion pour certaines personnes de se sentir une âme de « police de la charia ». Ils débarquent et se permettent de critiquer tous les comportements qui pourtant sont fréquemment porteurs de bons sens. C’est alors qu’il faut répondre à des questions comme: « Pourquoi mets-tu du déodorant pendant le mois du Ramadan ? C’est Harâm (défendu) ! », « Pourquoi tu te rases ? », « Tu ne fais pas jeûne alors que tu es enceinte ? ». Mais de telles interrogations sont-elles réellement basées sur les enseignements du Prophète de l’islam ? Il faut ici revenir à l’essence même du mois du Ramadan.

La relation de l’homme avec son Créateur

Lorsque j’interrogeais des femmes musulmanes très dévotes de ma famille pour m’expliquer la philosophie du Ramadan, elles me répondaient par de multiples arguments pleins de sagesse dont un, en tant que croyant, qui a emporté mon adhésion. Elles me disaient que si mon Créateur m’avait demandé de jeûner, c’est bien parce qu’il savait qu’il s’agissait de quelque chose de bénéfique pour moi. Bon nombre d’études prouvent les bienfaits du jeûne sur le corps humain; on parle même de plus en plus de jeûne thérapeutique.

Mais il faut également se souvenir que si le jeûne est une obligation, certaines personnes en raison de leur statut (voyageurs) ou de leur état de santé (maladies) ont été exemptées de celui-ci. Parmi celles-ci on inclura les femmes enceintes. En effet, les exégèses le font entrer dans la catégorie des personnes malades, même si l’on s’accorde à dire, comme l’affirmait mon amie médecin, Karima Aboura, qu’il s’agit d’une « bonne maladie ».

Beaucoup de femmes affirment avoir fait tout de même le Ramadan puisque, selon elles, les Traditions sembleraient ne pas être claires. Pourtant des Hadiths recueillis notamment par Abou Daoud, 2408 ; Al-Tirmidhi, 715 ; Al Nasaai, 2315 ; et Ibn Majah 1667, entre autres, vont manifestement vers une interdiction sans que celle-ci ne soit conditionnelle. Puis, à considérer que le médecin puisse prescrire le contraire, comment peut-on imaginer un instant ne pas nourrir un fœtus pendant plusieurs heures dans un même jour après l’avoir habitué à un apport journalier bien particulier ?

N’oublions pas non plus que nous ne jeûnons pas pour le médecin du quartier mais bien pour satisfaire Dieu. Et si Lui-même a inscrit dans le Coran qu’Il souhaite pour les croyants un jeûne qui ne les accable pas, pourquoi risquerait-Il de faire souffrir une âme dans laquelle Il insuffle progressivement la vie ?

Or un retour aux sources premières de l’islam – le Coran et la sounnah ou la pratique du Prophète- révélera que les fustigations des moralisateurs autoproclamés ont comme origine des préceptes alambiqués, concoctés par des gens nés longtemps après la révélation du coran, qu’ils se sont arrogé le droit d’ajouter aux règles simples et claires de ce dernier. Pourtant le Messager de Dieu avait bien dit: « Rendez les choses faciles aux gens, ne les rendez pas difficiles, rassurez-les par de bonnes nouvelles et ne les repoussez pas. » (Hadith rapporte par Al-Boukhari). Et encore: « La religion en principe est de pratique facile. Que personne ne cherche à être trop rigoureux dans l’observance de la religion sinon il succombera à sa tâche. En conséquence restez dans un juste milieu en cherchant à vous rapprocher de la perfection. Ayez bon espoir et aidez-vous par la prière du matin et du soir et un peu aussi pendant la nuit. » (Hadith rapporte par Al-Boukhari).

Croissant de Lune - Ramadan

Le Ramadan doit servir à l’ascension spirituelle

Si bon nombre d’études prouvent les bienfaits du jeûne sur le corps humain, il n’en demeure pas moins que son apport essentiel consiste dans les bienfaits qu’il apporte à l’élévation de l’âme. Il faut abandonner cette insistance sur les questions d’odeurs, de style et d’aspects extérieurs du jeûne introduites par des hommes venus au monde longtemps après le Prophète, pour se concentrer et se focaliser sur les aspects intérieurs.

D’abord, pendant le mois du Ramadan, s’investir de tout son cœur et de toutes ses forces dans l’adoration et la glorification de Dieu. Ensuite, la charité, l’altruisme doit être poussé à son apogée (en sachant que ces mêmes exigences sont déjà à un niveau assez élevé durant le reste de l’année). Les exemples du Prophète de l’islam sont nombreux et il faut tenter de les suivre. En pensant à la charité du Prophète de l’islam, il faut avoir à l’esprit cette femme âgée qui avait peur d’un « Muhammad magicien » qui sévissait à la Mecque. Mais lorsque le Prophète de l’islam l’a aidé à porter ses courses sans lui dire qui il était et qu’elle apprit qu’il s’agissait du « magicien », elle répondit que sa « magie avait désormais conquis son cœur ».

Ne pas oublier d’intégrer ses voisins, sa famille et de mettre fin aux conflits qui nous environnent -là encore, il s’agit d’injonctions du Prophète. Trop de musulmans de nos jours s’entêtent à penser aux aspects externes en oubliant l’essentiel: l’ascension spirituelle. En effet, le Ramadan est l’occasion de passer des nuits entières en prières. Pas pour montrer que nous avons fait la « tarawih » (prière spécifique du soir) mais plutôt pour que Dieu augmente notre certitude en Lui, et qu’Il nous accorde la force de multiplier nos actes de bienfaisance, de respecter les autres, d’accomplir nos obligations.

Aussi, le Ramadan est-il l’occasion de prier pour le monde musulman et le monde en règle générale en proie à une crise globale et à des axes géopolitiques très tendus. Que Dieu nous aide à nous concentrer sur l’ensemble des aspects formels enseignés par le Prophète et oublier les complications inventées par les ignorants, et qu’Il nous fasse comprendre comment atteindre l’excellence spirituelle. C’est seulement à ce moment-là que les musulmans pourront dire: j’ai vraiment fait le Ramadan cette année.


Remerciements – Nuzhat Arif, Abdul Ghani Jahangeer Khan.